A comme Allume!
- Roxanne Harvey
- 13 janv. 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 janv. 2021

Cette semaine, tous les matins je me suis levée au son de mon alarme matinale. Un peu d’entrainement, un café, un douche, un iota de maquillage et hop, je pars ensuite au travail, en direction de… ma chambre à coucher...
Eh oui, je «télé travaille» comme plusieurs ces temps-ci. Habituellement, je suis dans ma classe. Ma classe, c’est dorénavant ma chambre à coucher entre 8 heures et 16 heures. Dans la cuisine, j’empêcherais tout le monde de vivre et de faire du bruit. Je m’isole donc dans la pièce la plus lumineuse (c’est bon pour le moral, la lumière!).
Chaque matin, j’ouvre mon ordinateur, mon agenda, mes onglets pour les présences, pour le tableau Smart, pour les fichiers pédagogiques que je partagerai. J’épingle mon Classroom et le site Alloprof en référence, outils indispensables depuis quelques mois. Je vais ouvrir plusieurs salles MEET dans lesquelles j’enverrai travailler les élèves en équipes, ou dans lesquelles j’irai parler individuellement à des élèves pour leur donner des explications. Je m’assure que mes élèves n’arrivent pas avant moi dans la salle virtuelle, j’ouvre mon cahier pour prendre mes présences, et je croise les doigts pour que tout fonctionne bien côté technologique.
Jusqu’à maintenant, c’est presque la routine habituelle, hormis que je n’ai pas eu à déneiger ma voiture ni à rouler pendant vingt minutes pour aller au travail, et je n’ai croisé aucun autre être humain avant de donner mon premier cours.
Précisons que si je suis devenue prof, c’est parce que les êtres humains, je les aime profondément. Sinon, qui voudrait passer sa vie à répéter les mêmes informations d’une année à l’autre, d’une classe à l’autre, d’un élève à l’autre? Qui voudrait passer ses journées entières avec des ados qui ont l’air de se foutre de tout sauf de leur nombril, qui sont, pour certains, démotivés, impolis et qui réussissent à nous piquer au vif par leurs répliques? Ben c’est ça… je les aime profondément, ces êtres humains.
Un peu avant l’heure convenue, j’entre dans ma salle virtuelle et j’attends mes élèves. Je sais que ce qu’ils vivent cette année, c’est difficile pour plusieurs d’entre eux. Alors je m’efforce de les saluer un à un quand ils arrivent dans la classe (je prends mes présences en même temps!). Tous, ou presque, entrent avec un sac sur la tête. Ils ne veulent pas que je les voie. Du moins, c’est la comparaison que je pourrais faire avec la pastille Google m’indiquant qu’ils sont branchés mais que leur caméra n’est pas ouverte. Certains ne daignent même pas ouvrir leur micro pour répondre à ma salutation. Et ils ne sont pas impolis, mes élèves. Ils m’aiment bien, je crois. J’essaie de m’en convaincre à force de voir les pastilles déshumanisées entrer dans ma salle virtuelle…
Au moins, je sais de quoi ils ont l’air, car depuis le début de l'année je les ai vus plusieurs fois en chair et en os dans ma classe (une vraie, avec des chaises et des fenêtres qu’il faut ouvrir régulièrement). Ça m’aide à ne pas prendre personnel ce sac sur la tête et ce micro muet.
Moi, quand mon cours commence, je me suis habillée proprement, coiffée, maquillée. Je me suis même brossé les dents même si l’écran est un puissant antidote à l’haleine de café. Je mets tout en œuvre pour que ces humains à qui je m’adresse me trouvent potable quand je leur explique le travail à faire. Après tout, je suis l’unique visage humain dans leur écran pendant 75 minutes. C’est seulement moi qu’ils voient. Un minimum d’effort s’impose de ma part! Mais une relation, ça se construit à double-sens… Et je sens que je suis la seule à me brosser les dents.
Parfois, en plein cours, je me demande ce que je verrais si le Gars des vues pouvait filmer mes élèves chacun devant leur ordinateur. Sont-ils partis se faire cuire un œuf? Tondent-ils le gazon pendant que je m’évertue à avoir l’air intéressant devant ma webcam? Sont-ils en plein combat agressif sur leur plateforme de jeu ouverte dans un autre onglet? Magasinent-ils en ligne pour leur peut-être bal des finissants?
Voyez-vous, c’est ça, précisément, le problème des caméras fermées. Je ne sais pas ce que font mes élèves pendant que je leur parle. Je ne sais pas ce qu’ont compris mes élèves de ce que je leur dis depuis un moment, car aucune expression faciale ne me traduit cette information. Je ne sais pas si je me parle seule. Je ne sais pas si je devrai répéter mon cours, encore, parce qu’ils se sont éclipsés de mon local à mon insu.
Je sais que, légalement, je ne peux exiger à mon public d’ouvrir sa caméra.
Mais...
Voilà...
C’est ainsi que je me sens en tant qu’enseignante ultra moderne et technologique de l’année 2021. Je suis devenue prof parce que j’aime l’humain. Et l’humain, derrière son écran et sa pastille Google, je ne sais même pas s’il est réellement là quand je m’adresse à lui. Cher élève, j’aimerais bien que tu l’ouvres, ta caméra, parce que c’est à toi précisément que je parle après m’être coiffée, maquillée et brossé les dents.
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