B comme Bernard
- Roxanne Harvey
- 20 juin
- 4 min de lecture
Bernard. Je me permets de te tutoyer, même si tu rêves au vouvoiement dans les écoles.

Je me permets le « tu » parce qu'on travaille fort tous les deux pour tenter de recoller les morceaux d'un système de l'Éducation qui tire de la patte. Aussi, je me permets la deuxième personne du singulier parce que j'écoute toutes tes entrevues religieusement, et le «vous», c'est pas ton pronom préféré...
Par où commencer, Bernard ? C'est la fin de l'année, le moment des notes rendues, de la planification de la prochaine année, et je m'inquiète pour l'avenir de mon École québécoise. Je ne sais pas par où commencer tellement les idées et les réflexions se bousculent dans ma tête... D'ailleurs, il est cinq heures du matin au moment où je me plante devant mon clavier pour t'écrire ; c'est ton histoire de budget et de coupures qui fait rouler le hamster dans ma tête depuis un bout.
Tsé, Bernard, je sais que t'es un peu comme au théâtre : tu apprends ton texte, tu t'imagines dans ton personnage, tu veux avoir une bonne critique, tu récites un texte que t'as pas nécessairement écrit. Je t'explique : chez toi, dans ton salon, tu le sais bien, que rien ne va plus, que trop de jeunes ont besoin de services que t'es incapable de leur offrir. Parmi ces services inaccessibles, inexistants ou nageant en pleine pénurie, y a l'orthopédagogie : niet, nada dans trop d'écoles secondaires, même si une grande proportion des ados ont des problèmes graves d'apprentissage. Au fait, savais-tu que certains élèves se retrouvent au secondaire, au régulier, sans savoir lire réellement ? Trop vieux pour le primaire? Qu'on les shippe au secondaire! Ils s'arrangeront avec ça! C'est que ce jeune ne répondait pas aux règles bureaucratiques pour avoir les bons services. Ou peut-être, même, qu'il n'y a pas de services dans son coin. Et je ne te parle même pas de ceux qui ne connaissent pas leur ordre alphabétique à 16 ans...
Y a aussi le service de psychologie. Je sais, Bernard, que t'aimerais ça, que tous les jeunes qui ont des besoins puissent accéder à un psy. Mais au privé, ils sont difficiles à trouver, et ils coûtent cher. Bien des parents n'ont pas les fonds pour entretenir la santé psychologique de leurs petits, trop préoccupés à chercher de quoi leur mettre dans le ventre. Je sais que tu le vois, que trop de jeunes ont des problèmes importants de gestion du stress, des T.O.C., des écueils psychologiques divers comme la dépression, les troubles alimentaires, la dépendance aux jeux vidéos ou aux substances, les troubles de l'attention, alouette! Et y a les problèmes psychiatriques... On est loin de l'accord du participe passé des verbes pronominaux, ici, Bernard! Les psychologues scolaires quittent pour le privé, où ils sont beaucoup mieux rémunérés, et où ils se sentent utiles. Dans le milieu scolaire, ils se sentent écartelés entre toutes les écoles où ils sont assignés. Surtout, ils sont beaucoup trop occupés à remplir la paperasse que le système exige pour classer un élève là où il devrait être. Parce que le jugement des adultes qui les côtoient plusieurs heures par jour ne suffit pas...
La bureaucratie... sujet glissant, sur lequel je ne t'amènerai pas ce matin; on aurait besoin d'un livre de 300 pages pour faire le tour de la question.
En passant, je suis désolée, j'utilise beaucoup trop le mot «trop», mais l'idée d'une démesure, d'une exagération, d'un surplus inadmissible, d'une situation qui mènera assurément à un débordement s'impose immanquablement. Alors pour la variété dans mon vocabulaire, on repassera. L'important, ici, c'est le message.
Bernard, je pourrais t'insulter, te critiquer, te juger, comme le font plusieurs sur la place publique, derrière le clavier de leur téléphone. Je pourrais te parler de budget de romans, de disponibilités des outils technos. Je pourrais te parler d'évaluation. On n'en est même pas là, Bernard. Je sais que t'es dans ton personnage, sur scène. Je m'adresse à toi, Bernard, l'humain qui a un certain pouvoir. Je termine ma 27ᵉ année dans le milieu de l'éducation. J'ai enseigné à des groupes de régulier, d'adaptation scolaire, j'ai enseigné à des groupes au PEI, j'ai organisé des millions d'activités parascolaires, j'ai aidé les élèves ayant des outils technologiques, je suis même passée brièvement dans le monde de la direction. J'ai vu. Je sais que t'as des commandes, que tu te sens parfois comme un pantin. Mais je sais aussi que chez toi, le soir, dans ton salon, il doit t'arriver de verser une larme de désespoir. Tu vois le bateau qui prend l'eau, mais t'as pas les ouvriers pour faire la réparation, t'as pas les bons matériaux non plus, parce que leur prix a monté en flèche et que toi aussi, tu dois couper dans ton budget. T'as les employés du Titanic qui te supplient de ne pas les laisser couler, mais dans ton oreillette, t'as aussi des directives.
Bernard, les décisions financières de ton gouvernement ont un impact dans ta cour. Un impact sur ta réputation de ministre de l'Éducation. Elles ont un impact dans ma cour de prof. Surtout, elles ont un effet direct sur la vie et le futur de milliers d'enfants et d'adolescents. Tsé, ceux qui prendront soin de toi dans quelques années, quand tu seras incapable de te déplacer. Ceux qui s'occuperont de tes petits-enfants, peut-être. Des impacts sur l'avenir de notre Québec.
T'es peut-être un acteur qui dicte un texte sur une scène, présentement, mais là, c'est le temps de sortir du texte et d'avoir une influence marquante et positive sur le futur. Des coupures dans les services, vraiment ? Nos jeunes sont trop dans le besoin pour couper à cet endroit. Trop, c'est trop, Bernard. Sors de ton script, change le monde de l'Éducation pour le mieux!
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