Ces temps-ci, dans le chaos que vit le Québec avec les grèves, les projecteurs sont dirigés vers le quotidien des enseignants. Peu importent nos convictions syndicales ou sociales, une certitude demeure: un prof, ça détient un pouvoir inoui: celui de changer des vies, qu'il le veuille ou non...
Ma vie, elle a été influencée et véritablement marquée par monsieur Prince. Pas celui de Saint-Exupéry, mais celui du monde de l'Éducation: mon prof de français de troisième et de cinquième secondaire. Mon plus grand bonheur est d'avoir osé le lui avouer, un jour, alors que je l'ai croisé durant mon parcours universitaire. Ce grand homme vient de nous quitter...
«André, t'as pas idée à quel point tu m'as ouvert les yeux et que tu m'as donné confiance en moi. J'aimais déjà le français, mais encore plus depuis que mon chemin a croisé le tien. Ta passion des mots et des idées, elle m'a foudroyée, elle m'est rentrée dedans à pleine vitesse en cinquième secondaire, l'année où j'ai rencontré le Agaguk d'Yves Thériault et les personnages de John Le Carré, directement sortis de ta boite de vieux romans à l'odeur de poussière et aux pages jaunies. J'ai eu envie d'explorer mon P'tit Robert plusieurs fois par cours pour comprendre tous les mots que tu employais et que je ne connaissais pas (dithyrambique, tesson, hardes, nonobstant...). Je m'en rappelle encore.
Mais c'est pas ça le principal, André. Ça, c'est que l'aspect scolaire de ton legs, comme ta méthode infaillible pour construire un plan détaillé des idées. C'est surtout l'humain que je retiens: tes drôles de questions lancées en début de cours pour titiller notre sens critique et éthique, ton calme légendaire, le plaisir que tu avais à entendre nos réflexions et à essayer de nous comprendre. Surtout, le don que tu avais de toujours nous faire sentir compétents.»
C'est de ta faute, André, si je me suis lancée dans l'enseignement du français au secondaire! J'ai pensé que moi aussi, dans ton sillon, j'améliorerais un peu l'humanité et la qualité de la langue française. Bon, on repassera pour la note, parce que l'humanité est pas mal sombre, ces temps-ci, et la qualité du français, je ne sais plus trop... Mais je tente de mener à bien ma mission, coute que coute.
Monsieur Prince a voulu changer le monde à travers le milieu de l'enseignement: il a influencé nombre d'adolescents, a rassuré une multitude de jeunes enseignants en stage, s'est donné un malin plaisir à préparer des profs qui recevaient des stagiaires. Il a passé sa vie à se questionner sur la façon d'améliorer le sort de l'Enseignement avec un grand E. Parce que pour lui, c'est le plus beau métier du monde, mais aussi le plus ingrat à certains égards. Son constat: l'humain, qu'il soit l'élève ou le maître, est prioritaire. Pas le système. Pas les comptes à rendre. Enseigner, c'est faire grandir l'humain devant soi, l'amener le plus loin qu'il est capable tout en restant équilibré (le prof!). Du moins, c'est l'objectif. C'est là-dessus qu'il a réfléchi toute sa vie, partageant sa passion, ses questionnements, ses inquiétudes et ses espoirs à qui voulait bien s'assoir et l'écouter.
Je le soupçonne d'être déjà en route, là-haut (ou dans une dimension parallèle, comme il s'amusait à l'imaginer), son sac à dos sur l'épaule, vers de nouveaux chemins, ceux qu'il ne connaissait pas encore et qui piquaient sa curiosité. Soyez assurés que s'il découvre la recette d'un système de l'Éducation solide, efficace et respectueux des humains, il trouvera le moyen de nous le faire savoir...
Salut, André! Bon voyage!
Crédit photo: Guilayne Pelletier, au Parc national de la Mauricie
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