J'ai tenté de rester zen devant la situation et de comprendre tous les acteurs du monde scolaire.
J'ai d'abord surmonté mon malaise d'être payée pendant nos deux semaines de «vacances» à la maison en offrant mes services comme bénévole dans les épiceries, à prendre les commandes téléphoniques et à faire des livraisons. Le repos pédagogique annoncé par monsieur Roberge (c'est le ministre de l'Éducation) n'a pas duré. Après, on est tous sortis de notre léthargie et on s'est formés, chacun de notre côté, pour devenir des As de Google Classroom, de TEAMS et de tous les outils d'enseignement à distance qu'on n'avait jamais eu besoin d'utiliser. J'étais même ultra heureuse d'avoir enfin du temps pour évoluer dans ce monde pas réel.
Soudain, revirement de situation: on sonne le glas, c'est la fin des vacances. Retour en classe...virtuelle! «Mais, surtout, n'enseignez jamais, au grand jamais, de nouveaux contenus. Parce que tous les élèves du Québec ne sont pas nés égaux et n'ont pas tous accès à la vie virtuelle.» Faites de la révision, il faut garder les cerveaux actifs! Assurément, aucun retour en classe réelle n'est prévu d'ici l'automne, distanciation sociale oblige. Dans une classe ordinaire, entre 25 et 30 élèves, ça n'entre pas à moins d'être entassés comme des sardines. Je n'oserais pas imaginer, lors de la rentrée «pandémique», la saison du rhume et des élèves qui utilisent leurs mains ou leur manche de chandail en guise de mouchoir...
Et si, à bien y penser, ça entrait quand même, à deux mètres, des élèves? Allez, les profs du primaire, sortez votre baguette magique, faites des miracles et alternez entre vos habits de prof, d'architecte et de concierge. Parce que vous réorganiserez l'espace un million de fois avant de trouver la recette gagnante, et vous vous surprendrez à nettoyer plusieurs fois par jour les bureaux, les mains de vos élèves et les cordes à danser dans la cour de récré. Parfois, vous aurez le temps d'enseigner à vos élèves qui pensent à leurs amis qui se baignent à la maison pour se rafraîchir.
Mais les profs du secondaire, eux? Pour être certains que la société sache qu'ils ne sont pas payés à rien faire, on les envoie en renfort au primaire. Et ils sont contents d'aider, car oui, ils se sentaient mal d'enseigner de la maison. Mais n'oubliez pas, les profs du secondaire, le primaire, c'est cool, mais il vous faut quand même éduquer VOS propres élèves du secondaire qui, s'ils sont en secondaire 4 ou 5, devront avoir un résultat chiffré au bulletin! Go! Go! Envoyez des travaux, de nouveaux contenus, des capsules, courez après les travaux qui ne reviennent pas pour ces élèves que vous aimeriez bien voir réussir... Appelez les élèves qui ne savent pas comment ouvrir leur boite de courriels, comment joindre un fichier ou se rendre sur TEAMS pour votre rencontre virtuelle. Répétez vos consignes individuellement, revoyez les procédures pour chacun. Vous avez le temps, anyway!
Finalement, ces pauvres ados en difficulté qu'on a oubliés dans toute cette pandémie, on les ramène sur les bancs d'école, à trois semaines de la fin des classes. Plusieurs d'entre eux ne répondaient pas aux messages de leurs profs, ne faisaient pas les travaux et brillaient par leur absence lors des rencontres vidéo. Alors pourquoi insister pour les inviter à l'école?
Euuhhhhh.........
Il fait chaud, ils se sont trouvé un travail qui les occupe 30 heures semaine, ils détestent l'école et sont heureux de ne pas être obligés de fréquenter l'école pour la plupart.
Mais on leur propose de revenir à l'école.
Et c'est pas obligatoire...
Et pas nécessairement avec leur prof habituel, car lui, il est en renfort au primaire. Pourtant, ça aurait peut-être été un appât...la relation prof-élève...
Et ils devront se rendre à l'école par leurs propres moyens, car les autobus ne sont pas disponibles, réquisitionnés pour le deuxième trajet des élèves du primaire qui ne peuvent plus tous entrer dans leur autobus habituel, faute des deux mètres.
Surtout, comble de bonheur, leurs apprentissages ne seront pas notés, ça ne sera concrètement d'aucune utilité pour le bulletin final.
On est en train de leur donner tous les arguments pour rester à la maison. Surtout que, maintenant, ils ont le droit de voir leurs amis...à deux mètres!
C'est quoi, ce dénouement inattendu? La volonté de sauver les meubles? Éviter de perdre la face? Pourquoi changer d'idée sempiternellement? Je voudrais comprendre, parce que je sais que la situation est changeante et qu'elle nécessite des revirements de situations. Pas facile, pour les gestionnaires, cette époque pandémique... Mais là, il manque des bouts au casse-tête pour que je me fasse une idée claire de la situation pédagogique au Québec.
Cette pandémie, elle a eu des conséquences dramatiques pour plusieurs: la perte d'un emploi, la fermeture d'une entreprise portée à bout de bras, des séparations, l'ennui, la maladie, la mort... Alors le flou académique, il n'est pas si grave. Toutes ces décisions étourdissantes, elles ont, j'ose croire, été prises pour le bien des jeunes.
Mais si on laissait tranquilles, ces quelques élèves qu'on invite en classe le 8 juin, et qu'on admettait qu'on ne pourra pas sauver les meubles? Que, oui, il est probable que cette cohorte n'aura pas appris ce qu'on aurait voulu qu'elle apprenne?
Les profs du secondaire qui seront présents en classe le 8 juin, je crains qu'ils soient seuls devant des bureaux vides. Facile à respecter, les deux mètres!
Comme toujours, tes écrits sont justes et sensés...