Quarante-sept ans. C'est cette année que je sens que je suis passée dans l'autre génération. Le clash m'a frappée de plein fouet cet été pendant les vacances. D'abord, la plage d'Oka. Moi qui porte des maillots de bain confectionnés avec du tissu, j'ai bien compris à Oka que j'étais passée de mode. Une culotte de maillot qui cache le popotin? Pfft! c'est out en 2022 chez les jeunes. Plus tu en montres, mieux c'est. Et si t'es pas à la hauteur côté apparence, tu restes chez vous... Ce jour-là, j'ai eu l'impression que j'étais dans une cour d'école secondaire tellement les vacanciers étaient jeunes et insousciants.
Mais bon, j'assume. Je porterai mon maillot de bain une pièce dans ma cour ou sur une plage moins convoitée...
L'autre coup de poing générationnel que j'ai eu en plein visage, c'est à Québec que je l'ai reçu. Mon passage au Festival d'été de Québec a été marqué par la découverte d'artistes fort intéressants que je ne connaissais pas (mais dont tous les jeunes autour de moi connaissaient les paroles de chansons). Plusieurs de ces artistes avaient un nom ni féminin ni masculin. Un look d'homme autant qu'un look de femme. Des cheveux un peu courts, un peu longs, des espadrilles, une casquette et du vernis à ongles. Le look, c'est personnel, ça ne se discute pas, les gouts non plus. Je suis parfaitement d'accord avec la philosophie. Mais quand vient le moment de parler de l'artiste et qu'on ne sait pas quel pronom employer, qu'on doive taper sur Google son nom pour avoir des détails sur son identité, ça devient compliqué. Les adultes de ma génération, on est habitués à parler des gens en ils ou en elles. Monsieur est homosexuel? Aucun problème, on est au 21e siècle, quand même! mais il reste un il quand on parle de lui. Qu'arrive-t-il avec celui qui n'est ni un IL, ni un ELLE, car il ne se sent ni un, ni l'autre, celui qui se dit intersexe, non binaire, asexué, transgenre, alouette? On devrait aujourd'hui parler de lui en utilisant le pronom IEL. Pour plusieurs jeunes, c'est normal, cette ambiguité. Ils ont comme une antenne pour savoir quand parler d'une personne en IEL. Dur à comprendre pour eux que ce soit déstabilisant pour nous et qu'on ne sache pas très bien à quel moment l'adopter, ce pronom. En fait, je ne suis pas du tout à l'aise de l'adopter. Et il n'y a aucun jugement ni mauvaise volonté là-dessous: seulement un sentiment d'être malhabile.
J'ai l'impression de vivre dans un monde dichotomique: d'un côté l'exigence d'être une femme sexy ou un homme musclé sur la plage d'Oka; pas de place pour le bourrelet ou pour la différence. De l'autre, l'acceptation tellement intense que je suis persuadée de faire un faux pas si j'utilise le mauvais pronom. Encore pire, à l'école secondaire, si je m'adresse à un groupe d'ados en disant: hey, les gars! hey, les filles! j'ai l'impression d'être dépassée ou d'avoir été déplacée. Pourtant, je les admire tellement, ces jeunes qui s'acceptent, qui osent être eux-mêmes, qui s'affichent ouvertement de la façon dont ils se perçoivent! Ça prend du courage, et ils en ont. Toutefois, quand je vois un groupe de jeunes, je ne suis pas dans leur tête pour savoir s'ils sont en pleine transformation, s'ils se sentent ni homme ni femme, s'ils s'identifient à un sexe différent... La pression est grande pour marcher sans casser d'oeufs.
Ça devient ardu de ne vouloir blesser personne dans ce contexte. Dans ce contexte où j'appartiens maintenant à l'autre génération (c'est officiel, je le sens chaudement!) et où le pronom IEL est tout ce qu'il y a de plus normal pour les jeunes, mais moins instinctif pour les plus vieux. Alors soyez indulgents avec ceux qui ont appris par coeur les pronoms personnels traditionnels. Ça viendra peut-être plus naturellement avec les années...
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