M comme mon élève du secondaire

Je me suis permis le déterminant possessif «mon» pour parler de toi, mon élève du secondaire. Parce que t'es important pour moi. Vraiment. Je ne t'apporte pas de surprises dans mes cours, on ne se fait pas de câlins comme le font les p'tits de la maternelle, et je ne te dis pas «je t'aime». Mais j't'aime pareil.

C'est pour ça que, de chez moi, même s'il m'est interdit de retourner dans ma classe avec mes 30 paires d'yeux qui me regardent, j'aimerais bien te donner un coup de main. J'aimerais tellement que tu réussisses à les voir, tes fautes d'accord de pré maternelle! J'aimerais tellement que tu construises des phrases claires, avec des mots précis... Que tu puisses donner ton opinion de façon respectueuse sans dénigrer les autres, que tu fasses des liens clairs entre tes idées...

On pourrait laisser de côté les subordonnées, les participes passés des verbes pronominaux et les figures de style un moment. Juste pour que tu ne perdes pas les acquis que tu as durement construits ces dernières années. Je me contenterais d'un petit texte de temps à autres, d'un commentaire, d'un résumé de ta journée, de ton opinion sur les tartelettes de monsieur Arruda... Le sujet m'importe peu, je veux juste que tu m'écrives et que tu t'exerces à corriger tes fautes... parce que c'est ça, le pire, dans l'histoire de la Covid-19. Tu textes à fond tout ton carnet d'adresses Facebook, Instagram, alouette! Tu écris sans arrêt, toute la journée. Mais on le sait, tu écris des «genres» de mots, tu écris dans ton jargon que ton prof, l'an prochain, ne comprendra pas. Que tes profs du cégep, l'an prochain, ne comprendront tellement pas qu'ils te pénaliseront chaque fois pour les fautes que tu auras appris à faire pendant la Covid-19. Et tu regretteras... Tu regretteras de ne pas m'avoir écrit pour que je t'aide à t'améliorer. J'ai le temps, il n'y a plus de cloche, plus de tonnes de notes à entrer dans GPI...

T'es pas obligé de m'écrire à moi si je te tombe sur les nerfs. Écris à tes parents, à ta famille, à toi-même. Mais essaie de le faire bien. En faisant les stratégies de correction qu'on t'a apprises depuis le primaire.

Je sais, ton école est fermée jusqu'en septembre. Et t'as pas à te présenter en classe. C'est cool. Ouais.

Mais tu ne réponds pas à mes courriels, tu ne me poses pas de questions, tu ne t'es pas branché quand on s'est donné un rendez-vous vidéo... Tu ne me donnes aucun signe de vie.

Si tu prenais quelques minutes par semaine, t'en mourrais pas, et tu seras tellement heureux l'an prochain d'avoir entretenu ce que t'as mis tellement de temps à apprendre! Il y a une petite poignée d'élèves qui le font volontairement et, bizarrement, ce sont ceux qui ont déjà les meilleures notes... Faut croire qu'ils ont de bonnes stratégies de travail.

Je ne me fais pas d'idées, je sais que tu ne liras pas ce texte. Parce que t'as pas le temps, tu travailles beaucoup à l'épicerie, à la pharmacie... Parce que t'as autre chose à faire, parce que le ministre a dit que tu passerais probablement de toutes façons, parce que pour toi, pas d'école, c'est des vacances.

Tu connais la fable de la cigale et de la fourmi?