Mes élèves connaissent déjà la question de l’examen de décembre: À partir du roman Pas de Noël cette année, prouvez que la société occidentale a dénaturé la fête de Noël.
Noël, ça devrait être le temps passé en famille, les rapprochements, les réconciliations, le partage, la solidarité. Au départ, on avait bien un congé religieux pour fêter la naissance d’un gars nommé Jésus, y a belle lurette déjà. C’était ça, l’origine véritable de la fête de Noël. Le congé religieux a discrètement laissé sa place à un congé social. Oui, j’ai bricolé des crèches à l’école primaire en préparation de la fête du p’tit Jésus. J’ai pris part à des messes auxquelles participaient les élèves de catéchèse de mon école en Abitibi. Alléluia!
Mais là, j’ai le regret de vous annoncer que Noël, ça va plus loin que ça. C’est pas la naissance d’un homme que je fête, aussi gentil soit-il. Ce sont plutôt les valeurs qui en ont découlé qui ont pris le dessus. À Noël, je me sens plus généreuse envers ceux qui ont moins de chance que moi dans la vie. Je profite aussi de ce moment pour repenser à mon année et pour me recentrer ce qui m’importe, sur mes valeurs profondes. J’essaie d’être une meilleure personne pour la suite, tout en respectant la personne que je suis.
Et là, je suis aussi forcée d’admettre que ce Noël tout en valeurs et en générosité que je connais, il dérape. Il se dirige tout droit dans le mur de la consommation excessive, de la course à la plus grosse montagne de cadeaux sous le sapin, à la plus belle tenue du party des Fêtes, de la meilleure réception, du cadeau d’hôtesse le plus spectaculaire, des décorations les plus impressionnantes, du compte d’Hydro le plus astronomique. Évidemment, c’est pas le cas de tout le monde. C’est le cas de trop de gens qui en ont les moyens (ou qui ont beaucoup de cartes de crédit). Et les autres, ils se sentent seuls, pauvres, pas chanceux comparés à toute cette démesure festive collective. C’est comme ça que la société occidentale a dénaturé Noël.
À ce moment-ci de l’année, je réfléchis à ça.
Il est présentement 4h du matin, on est en pleine nuit de décembre. Je ne dors plus.
Je crois avoir trouvé la cause à tous les problèmes de la planète: l’orgueil humain.
Cet orgueil qui fout le bordel dans nos comportements, dans nos émotions. Pas juste à Noël, mais à l’année. On se sent attaqué? Notre orgueil réplique. Parce qu’on est meilleur que l’autre, voyons! Le voisin a un plus beau sapin que le nôtre, notre orgueil réplique et s’en procure un encore plus gigantesque. Le beau-frère court un demi-marathon, on court le full. La voisine semble filer le parfait bonheur avec sa nouvelle perte de poids, on la dénigre.
Foutu orgueil.
C’est lui qui sème la zizanie dans les relations humaines. Parce qu’on est tous fragiles par en dedans, même si on a l’air d’être faits forts de l’extérieur. On se sent attaqués de partout, et on réplique. C’est humain. Ceux qui proposent le changement nous déstabilisent, nous enlèvent une certaine sécurité, alors on réagit. On était déjà bons, pourquoi changer? Notre façon de faire était la meilleure, pourquoi essayer autre chose?
Et cet orgueil, là où il réagit le plus, c’est en privé, quand l’autre vient nous dire que ce qu’on fait, ce qu’on dit, ce qu’on est le dérange. Quand on doit travailler sur soi et s’améliorer. On sait alors qu’on n’est pas le meilleur, qu’on a tort. On le sait. Mais ça dérange, d’avoir à changer, à s’excuser, à s’arrêter pour mieux repartir. Et c’est là qu’on se chicane avec la belle-famille, avec sa propre famille, avec des amis. C’est là qu’on abandonne le travail sur soi et qu’on abdique. On quitte une relation, un travail, on ne fréquente plus la belle-sœur ou les parents.
Ben c’est ici que Noël et son esprit des Fêtes a son utilité. Lâchez le nouvel ensemble à diner, le centre de table féérique et la robe-de-noel-que-vous-ne-porterez-qu’une-fois et arrêtez-vous.
La vie est courte.
Si on vous apprenait que le 1er janvier prochain, c’était fini pour vous, vous mettriez sûrement de côté de foutu orgueil et iriez régler vos conflits. Vous admettriez vos torts et accepteriez que les relations humaines, c’est pas facile et ça dérange parfois notre intérieur. Faut trouver l’équilibre, pas être borné.
Le gars de qui c’est la fête, le 25 décembre, il serait sans doute bien content que vous mettiez cet orgueil aux poubelles.
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