Quand je croise des gens, je m’attarde à l’émotion sur leur visage. Je ne sais pas pourquoi, ça m’a toujours fascinée. C’est pas vrai que tous ceux qu’on croise sont heureux et transpirent le bonheur. Y a les airs bêtes qui, heureux ou pas, ont toujours l’air d’être furieux. Y a ceux qui sourient à tout le monde parce que la vie est belle. Y a ceux qui te voient mais qui, délibérément, t’ignorent (ceux-là, ils m’énervent). Y a ceux qui sont absents et qui ne te voient vraiment pas. Sans doute parce qu’ils sont dans leur tête à gérer leurs problèmes ou à planifier leur semaine.
Si vous me croisez et que je suis dans cet état, c’est que je suis en train d’écrire dans ma tête. Ou de combattre les démons qui tentent d’assombrir mon quotidien.
Depuis un an ou deux, je croise souvent un homme qui a vécu l’horreur de perdre un enfant. Je le croise sur la piste cyclable, à l’épicerie, dans des commerces. Je le reconnais chaque fois à son air absent. Morose. Abattu. Il transpire la douleur. Et je la ressens chaque fois. Hier matin, j’ai cru voir sa silhouette au loin. Je ne le connais pas vraiment mais, je ne sais pas pourquoi, même de loin j’ai reconnu sa démarche. J’ai eu peur de croiser de nouveau ce regard éteint.
Puis il est passé près de moi alors que je faisais mon jogging. Il était tout sourire.
Ouf!
Il m’a saluée parce que tous les joggeurs civilisés se saluent. Puis il a continué sa route.
Je crois que la course (et le temps!) y était pour quelque chose dans son sourire. Les joggeurs courent pour garder la forme, pour se dépasser, pour perdre du poids, pour battre des records. Mais tous s’entendent pour dire que la course, c’est un peu une thérapie personnelle. On est si longtemps dans sa tête, quand on court, qu’on passe un temps fou à régler nos tracas. Le ski de fond, le vélo, la marche aussi font office de psychologue au besoin. Et cet homme souffrant devait se parler bien fort hier matin pour trouver du positif sans sa vie.
Un psy, tout le monde devrait en avoir un pour les moments difficiles, pour les remises en question, pour les moments où l’on voit la montagne infranchissable. Si on est prêt à travailler sur soi, ils peuvent faire des miracles. Et pas besoin de vivre un deuil pour en arriver là. La vie en soit nous envoie son lot de situations à gérer, mais on n’a pas tous le même coffre à outils pour le faire.
Dommage qu’il y ait encore des gens qui croient que seuls les fous consultent.
Y a ceux qui consultent en cachette, ceux qui consultent parce qu’ils sont acculés au pied du mur par leur conjoint, ceux qui consultent pour prévenir, ceux qui le font pour guérir. De plus en plus, y a ceux qui annoncent fièrement qu’ils ont un psy.
Quand la tête ne va plus, tout le reste flanche. Parfois, on a besoin de savoir où on s’en va, de simplifier notre chemin. Certains vont courir, d’autres appellent leur psy.
C’est à ça, entre autres, que je pensais samedi matin, pendant mon jogging.
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